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 Jules Verne, l’extraordinaire voyage

Ogre de la littérature, classé improprement dans la littérature enfantine - Enfantina -, Jules Verne vient enfin cette année de recevoir la consécration posthume si méritée d’une publication dans La Pléiade.

Ce sont quatre de ses œuvres qui font l’objet d’une parution en deux volumes, accompagnées de notes et de notices d’une très grande qualité sous la direction de Jean-Luc Steinmetz.

De l’aventure maritime à l’exploration métatextuelle

Les Aventures du Capitaine Grant  ouvre cette édition. Il ne s’agit pas du premier « Voyage Extraordinaire » de Jules Verne – c’est l’aventure africaine, Cinq semaines en ballon  - mais bien de l’un de ses tous premiers chefs-d’œuvre. 

Assez méconnue, cette aventure qui accomplit pourtant un fascinant tour du monde sur les mers - avant que « 20 000 lieues » ne l’entreprenne sous les mers - nous interpelle dès le titre, qui met en exergue le Capitaine Grant, ellipse narrative car objet de cette aventure davantage que son sujet. 

Plus fameux et largement popularisé par les adaptations cinématographiques, 20 000 lieues sous les mers poursuit ainsi sous les mers le tour de force du premier. 

Observons la prédominance de l’élément marin  dans l’oeuvre vernienne – qui défriche toutefois dans sa soif d’exploration la terre, les glaces et les airs - trouve naturellement sa source dans la passion du nantais pour la navigation.

Le ressort narratif est cependant très différent. Il ne s’agit plus d’un frère et de sa sœur aidés par un noble écossais et son épouse dans leur quête filiale (retrouver un père abîmé en mer) ; mais de la poursuite d’une curiosité naturaliste (le sous-marin est d’abord confondu avec un monstre aquatique) se prolongeant en emprisonnement didactique ; les prisonniers apprendront beaucoup du Capitaine Nemo, anti-héros vengeur faussement misanthrope.

Ouvrant le second et dernier volume actuellement publiés, L’Ile mystérieuse  – roman très fameux également - élucide  la mystérieuse conduite du ténébreux Capitaine Nemo. L’odyssée de l’enfermement insulaire s’achevant dans une pyrotechnie savamment mise en scène.

Plus surprenant de prime abord, le choix de clore cette édition par Le Sphinx des glaces, continuation et pastiche brillant en forme d’hommage aux Aventures d’Arthur Gordon Pym, roman d’Edgar Allan Poe que Jules Verne admirait.

Point de Tour du monde en 80 jours, donc ; son « best-seller.

Point non plus de Voyage au Centre de la Terre, fascinant de tellurisme.

Point non plus de Russie aux côtés de Michel Strogoff. Point de romantisme noir (Le Château des Carpathes), et surtout, point de l’un des tous meilleurs Verne : Les Indes noires.

Mais au cœur de ce Sphinx des Glaces, une veine fantastique asséchée de tout romantisme et peut-être plus proche en cela de Robur le Conquérant ou du Maître du Monde , l’aventure métatextuelle en sus et l’énigme tenace, on ose dire : mythique.

Œuvre très atypique,  la plus éloignée sans doute de toute suspicion d’« Enfantina », Le Sphinx des Glaces confine davantage à l’exercice de style qu’à la création pure du plus imaginatif de nos romanciers (d’aucuns citeraient tout de même Dumas).  

Œuvre de style, plus formelle, plus narratologique peut-être qu’aucune autre, Jules Verne, qui joue et déjoue le seul roman achevé d’Allan Poe, n’en oublie pas pour autant le suspense ni le goût de l’épopée. 

Voyages extraordinaires de maturité
 
Cependant cette oeuvre s’inscrit pleinement dans le registre du voyage extraordinaire, ici autant psychologique que factuel, confrontation à l’ombre glacée de la mort, œuvre étrange, spéculaire, se démarquant par un métatexte particulièrement riche. Une belle pirouette en somme.

Rompant définitivement avec ce préjugé autant que malentendu qui colle à Jules Verne d’écrivain pour enfants. Publié dans une collection dédiée, il est vrai, aux enfants – le Magasin d’Education aux éditions Hetzel -, cet auteur a certes sacrifié aux topoi – choisis – du roman d’aventure aux vertus pédagogiques mais en lui conférant une virtuosité et maturité telle que cela reviendrait à assimiler : Candide de Voltaire ou encore Zadig  mais aussi « Les confessions » de Rousseau au genre d’Enfantina sous couvert de didactisme et de -fausse- ingénuité.

Les enfants d’alors lisant Jules Verne apprennent en s’amusant – des taxinomies zoologiques, des avancées scientifiques, des prouesses technologiques - mais la portée littéraire, l’envergure philosophique de la geste vernienne se dérobent à eux.

Formidables romans d’apprentissage (et pas uniquement édifiés à la gloire du progrès scientifique et industriel), les voyages extraordinaires de Jules Verne offre à ce genre largement philosophique et ô combien adulte les trésors fictionnels de l’exotisme, de la prouesse, de l’érudition épistémologique et documentaire support remarquable de l’imagination pure.

Instruments de connaissance aujourd’hui plus historique, sociologique et réflexive que bréviaire scientiste, l’œuvre excède le corpus du savoir scientifique condamné par les incessants progrès à une obsolescence programmée.

Les facéties littéraires de Jules Verne, sa créativité tourbillonnante qui s’inscrivent parfaitement dans un genre pour toujours le dépasser, ont conservé une fraîcheur intacte.

Et si enfance il y a, c’est par la capacité que l’œuvre de Verne a de regénérer le machiavélisme forcé de l’âge adulte, ce conservatisme malgré soi, à la source vive de l’Idéal, de l’énergie des rêves, du courage, véritables dynamiques de l’enfance et de l’adolescence.

Cartonnages Extraordinaires : Verne/Hetzel, un monument de la bibliophilie
 
A cette œuvre inclassable à la non moins incroyable dimension (61 Voyages extraordinaires publiés de son vivant) s’ajoute des contenants d’exception pour tout bibliophile : la collaboration avec Hetzel propulse ainsi l’œuvre vernienne au statut de monument de la bibliophilie XIXe.
 
Cartonnages à l’obus, deux éléphants, bannière (et ses étonnantes combinaisons de couleurs  : on dénombre environ deux mille combinaisons différentes en tenant compte de tous les cartonnages et de leurs variations ainsi que des combinaisons de couleurs que redouble le seul cartonnage à la bannière), sphère armillaire, steamer, portait collé ou imprimé, globe doré, un éléphant… Les plaques des célèbres couvertures en percaline rouge – mais également quoique plus rarement, vert, bleu, violet, lilas…- des éditions Hetzel (qui seront considérablement affadies par Hachette) sont signées des plus grands relieurs ( Souze, Lenègre, Engel, Magnier).
Les voyages extraordinaires sont également interprétés par les meilleurs illustrateurs, le plus célèbre demeurant Riou.

Editions  monochromes illustrées de gravures en noir pour les volumes simples avant le Steamer et volumes triples (dos à l’ancre) et éditions polychromes enrichies par des hors-texte couleurs pour les volumes doubles « tardifs ».

C’est à cet extraordinaire voyage au cœur de bibliophilie moderne que nous vous convions.