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La galerie d'art
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Henri Edmond CROSS (1856 – 1910)

Étude d’une succulente en fleurs

Aquarelle sur papier chamois, signée du cachet d’atelier « HEC » en bas à gauche
Dimensions : 23 x 21 cm – Encadrée (encadrement en bois) : 43,2 x 33,2 cm
Rapport de condition : bel état, magnifique fraîcheur des tons de l’aquarelle, cachet un peu atténué par le temps, dessin contrecollé sur un carton d'encadrement, légères marques du temps et rousseur dans la partie supérieure droite du dessin
2 500 €

Descriptif

Charmante étude de plante grasse en fleurs, une succulente exotique ressemblant à l’echeveria purpusorum green gilva originaire du Mexique.
Une aquarelle à la fois enlevée et ferme, par Henri-Edmond Cross, avec le cachet de son atelier en bas à gauche dont la marque s’est estompée au fil du temps, vraisemblablement sous l’effet de son exposition à la lumière (insolation) sans la protection d’un cadre.
 
A dater de sa première période naturaliste. Et donc, plus probablement réalisée par l’artiste du côté du Jardin des plantes, notamment, où il tira son inspiration botanique, plutôt que plus tardivement dans son jardin varois de sa maison à Saint-Clair.
 
On notera l’appréhension remarquable du volume des feuilles charnues de la plante grasse, aux accents géométriques presque cubistes, ainsi que le camaïeu harmonieux des nuances de verts. Le port altier des fleurs roses laissant entrevoir le pistil safrané. La couleur est déjà au cœur de cette superbe étude botanique.
 
Nul emprunt à l’impressionnisme et encore moins au pointillisme, Cross mature ici la matrice de son talent, l’observation attentive, dans une approche naturaliste. Savoir retranscrire d’après nature, la perfection de la beauté de cette même Nature dans une étude vivante avant de se détacher du motif pour ne retenir que la lumière par le prisme de la couleur.
 

Au sein de cette très belle étude aquarellée s’affirme pleinement la qualité de la main d’un artiste marquant de l’art moderne, de son dessin, et déjà, de son sens du coloris.  

Biographie

Le plus bel hommage biographique rendu à Henri Edmond Cross fut sans doute le portrait qu’en dressa Maurice Denis, peintre lui-même et théoricien de l’art qui possédait des œuvres de Cross dans sa collection. Au point que la galerie Bernheim mis par deux fois ce texte de Maurice Denis en exergue d’une préface à deux de ses catalogues d’exposition en 1910, année du décès de Cross, et en 1937. Preuve s’il en était besoin que cet artiste majeur sut toujours s’attirer l’admiration de ses pairs. Laissons la parole à Maurice Denis :
 

"HENRI-EDMOND CROSS, né à Douai le 20 mai 1856, est mort à Saint-Clair (Var), le 16 mai 1910.

On n’essaiera pas ici de dire la douleur que nous ressentîmes, ses camarades et ses amis, de sa longue et cruelle agonie, si stoïquement supportée, et de cette fin parmi d’atroces souffrances. Dans quel paradis, dans quel rayonnement de gloire reverrons-nous ses yeux clairs, de tant de douceur et de droiture, et a noblesse de son front haut et la bonté de son sourire ? Mais le souvenir ému que nous gardons d’un tel homme, nous voudrions que chacun pût, à travers son œuvre en connaitre le bienfait, et retrouver dans ses peintures, avec l’expression vivante qu’il a donnée de lui-même, un peu du charme si fort de son commerce et de son amitié.

C’était un homme du Nord qui, sous des apparences froides, cachait avec une sorte de pudeur un cœur ardent. Il naît dans le brouillard de Flandre, à Douai, où il commence de peindre ; il passe dans la cave de Bonvin et il s’y lasse vite des vieux crus de la peinture sombre ; puis il s’installe sur la côte de Provence, et c’est là qu’il meurt entre la mer bleue et les jardins fleuris. Toute sa vie d’artiste tient entre ce départ dans le noir et cette arrivée dans le soleil. 

Entre 1884 et 1891, il expose ses premières toiles claires aux Indépendants. A cette époque et dans ce milieu, tout fermentait, tout était mis en question, tout se renouvelait ; mais sous divers noms et, sous des apparences contradictoires, c’était l’idéalisme qui tendait à reprendre ses droits – les droits d l’imagination, cette « reine des facultés » du peintre – sur le réalisme des années précédentes. Autour des Impressionnistes qui évoluaient vers un art plus généralisateur, autour de Claude Monet, de Pissarro et de notre grand initiateur Cézanne, le petit groupe des néo-impressionnistes commençait de manifester. 

Seurat en était le fondateur, l’apôtre. Signac apportait au jeune mouvement la puissance d’un esprit précis et d’une volonté vigoureuse. Dubois-Pillet, Van Rysselberghe, Maximilien Luce, Angrand et, je crois, Petitjean furent les premiers séduits par la nouvelle théorie. Fénéon, qui lui aussi eut son rôle, sut la résumer dans les études qu’il écrivit alors, en pages claires et concises. Retenons seulement ici que si le but était de donner à la couleur toute sa force par les contrastes de ton et de teinte, le moyen était le mélange optique. Nulle théorie ne fut plus discutée, aucune n’eut une emprise plus forte sur les peintres qui y trouvèrent – car c’est là l’utilité des théories – le guide et l’appui de leurs premiers tâtonnements. 

A cette technique systématique et, il faut bien le dire, singulière, Cross fut réfractaire d’abord. Cherchant la lumière, il se contenta d’éliminer les neutres et de peindre clair, jusqu’au jour `la cure de soleil qu’exigeaient ses rhumatismes l’amena dans le Midi, à Cabasson, devant des spectacles d’un tel éclat qu’l crut impossible de les traduire sans recourir à la division. C’était en 1892. Il avait exposé en 1891, l’année de la mort de Seurat, le grand portrait en pied de Mme Cross que nous vîmes à Saint-Clair et dont certaines parties sont divisées, selon la technique pratiquée depuis 1884 par Seurat et Signac. Cependant, si sa technique change, son esthétique reste encore quelques années fidèle au naturalisme. Il persévère dans le travail direct d’après nature, il croit toujours au motif, et c’est pour plus de vérité dans la lumière qu’il applique le mélange simultané des couleurs. 

Peu à peu son évolution se fait. Là-bas, sous le soleil, toujours avide d’en restituer l’éclat, il s’instruit de ses propres expériences. A Paris, chaque année, aux Indépendants et dans les petites expositions qui dès cette époque foisonnent, il voit quel travail s’opère, en apparence vers plus de liberté, en réalité vers plus de raison et d’ordre : un ordre nouveau, paradoxal, un ordre issu de la tourmente symboliste et dont le succès marque le triomphe de l’esprit de synthèse sur l’esprit d’analyse, de l’imagination sur la sensation, de l’homme sur la nature. 

L’intelligence de Cross fit alors un effort admirable pour transformer, pour agrandir son procédé, et discipliner sa sensibilité au service de l’art plus noble qu’il envoyait. La conciliation difficile entre la recherche de l’unité et la recherche de la nuance, entre la construction décorative et l’étude attentive des effets, il pense la trouver d’abord par une patiente et plus systématique complication de sa technique. J’ai expliqué, dans une précédente préface, qu’il disposait les tons et les fragments de tons comme de petites unités blanches, et qu’il les revêtait après coup, en glacis, de couleurs variées selon le rôle de chaque élément, assignant à chacun son champ d’action, calculant d’avance les résistances, les réactions, en vue de l’harmonie finale à obtenir par de rigoureux contrastes. En même temps il abrège la forme, il élague les accidents, il s’astreint, en vue d’un plus grand style, à des déformations rythmiques. Puis le travail du point strict le gêne : il le rejette peu à peu, il augmente le format de sa touche, large et fondue comme celle de Cézanne, mais il reste cependant fidèle à la polychromie de couleurs pures, presque sans mélanges pigmentaires, et à la propreté d’exécution de ses premiers tableaux. 

« Cette liberté fut, écrit-il dans une lettre citée par Charles Angrand (les Temps Nouveaux), la plus grande leçon que je rapportai d’Italie. « En 1904, il avait été à Venise, et c’est de Venise que datent, à mon gré, ses premières œuvres accomplies. En 1908, il visita la Toscane, Rome et l’Ombrie. Tout en comprenant la grandeur des maîtres, « les Forces suprêmes », il était tellement préoccupé de la fraicheur et du dégradé des teintes que ce qui le frappe le plus dans ce voyage, c’est la couleur pure de certains Primitifs, la teinte « variée comme un pétale de pied d’alouette » de Pérugin ou de Pinturicchio. En même temps que disparaissent ses scrupules de réalisme et d’analyse, sa notion du soleil évoluait. Il ne cherchait plus, comme autrefois, à exprimer la lumière solaire par la décoloration, par le blanc à peine teinté. Mais au moyen des oppositions de teintes, préférées à celles de tons, il substituait à l’éclat aveuglant du spectacle ensoleillé une riche tapisserie de couleurs fulgurantes. En un mot il transposait. Il devenait plus véritablement peintre, tout en restant, - pour employer un barbarisme de notre jeunesse, - un chromo-luminariste fervent. 

Par cette transposition colorée, il se rapprochait de Cézanne et renouait la tradition des maîtres. Il redevenait classique encore par d’autres soucis d’invention et de composition. Ce n’était plus seulement pour appliquer, pour expérimenter certaines leçons de Seurat, de Charles Henry, ou ses propres combinaisons techniques, qu’il introduisait dans ses tableaux inspirés par de magnifiques spectacles de la nature, de volontaires et harmoniques déformations ; c’était plus encore pour contenter son goût naturel, enfin révélé, de beauté pleine et équilibré. Il composait, et son imagination libérée appelait les nymphes, les faunes et les dryades pour emplir de formes sculpturales des paysages élyséens. Il s’était aperçu de la vanité du travail direct d’après nature pour qui veut fixer l’insaisissable prestige de la chair en plein air, la caresse fugitive du soleil et la mobilité des heures. Une lettre, que j’emprunte encore à l’article d’Angrand, nous parle de la nécessité de repousser sans ménagement la tyrannie de la documentation. « J’ai fait venir un modèle féminin dans un petit bois de chênes-lièges proche de la maison. Ce nu, au soleil ou à l’ombre, m’a mis devant les yeux des harmonies de formes et de teintes insoupçonnés. Quelques pauvres études en sont résultées. Or, maintenant que l’objet n’est plus là je sens mieux mon manque d’audace, ma regrettable sagesse t je rêve de mes premières et spontanées sensations qui étaient pleines d’enthousiasme et de saine folie. » 

Ce sont ces sensations enthousiastes, cette saine folie que nous retrouvons avec une telle magnificence dans ses plus récents tableaux. 

L’écueil eût été qu’il se contentât, comme tant d’autres, d’à peu près, de réalisations aimables ou paradoxales. Mais sa volonté d’expression se faisait plus âpre, plus exigeante à mesure que croissait son désir de synthèse. Il arrivait à signifier par quelques formes simples, par quelques rapports de couleurs pures, ce qu’autrefois il ne savait dire qu’avec une multitude de nuances et de diaprures. 

C’est dans ces œuvres de la dernière période qu’apparaît tout le lyrisme de l’âme de Cross. Certes, qu’il ait participé avec audace à un mouvement important de l’évolution de l’art moderne ; qu’il ait eu le don d’assembler en d’éclatantes harmonies la force et la douceur des plus belles couleurs de la gamme ; que son intelligence ait su retrouver à travers les confusions et les ignorances quelques-uns des vrais principes de l’art et qu’il ait ainsi réalisé des œuvres du plus grand style ; qu’il ait atteint à un degré de splendeur et de luminosité qui faisait l’étonnement même de Signac, son plus fidèle admirateur et son ami ; qu’enfin, il ait vécu avec intensité ce drame intérieur du peintre qui crée lui-même ses moyens, que se découvre laborieusement et s’efforce de toute sa volonté vers le mieux ; tout cela, nous l’estimons grandement, comme il convient. Mais il y a quelque chose de plus dans l’œuvre de Cross. De tout cet effort de logique, de synthèse et de lumière, une tendresse se dégage, un sentiment passionné de la nature et de la vie. Dans la plénitude et la simplicité de ses grands paysages, n’admirons pas seulement la beauté objective, mais aussi le rythme intérieur, selon lequel il les ordonnait. Écoutons, dans les vibrations de ses ciels et le flamboiement de ses terrains accablés sous la chaleur du jour, le retentissement des harmonies terrestres ; mais plutôt entendons ici les palpitations d’un cœur et la voix d’une âme éblouie."
 

MAURICE DENIS"