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Une histoire du physionotrace : la collection du Comte Sforza

 

La collection extraordinaire d’un homme hors du commun

Personnalité politique issue de la branche cadette de la prestigieuse dynastie des Sforza de Milan, esthète italien, diplomate dès 1896, ambassadeur puis ministre des Affaires Etrangères, le Comte Sforza (1872-1952), comte de Castel San Giovanni marqua l'Histoire par son combat antifasciste.

Sa vie eut l’éclat de ses convictions, la tentation assouvie du cosmopolitisme, le panache de l’héroïsme.

Au commencement de sa carrière politique, après des débuts au Caire et Madrid, il fut secrétaire d’ambassade à Paris où il brûla les papiers de la Comtesse de Castiglione, avant de  gagner Constantinople et Pékin, puis d’occuper un poste de Chargé d’Affaires à Bucarest.

Ambassadeur d’Italie en Chine de 1911 à 1915 ; puis ambassadeur auprès du roi de Serbie en exil à Corfou.

Ambassadeur d’Italie à Paris, il fut nommé ministre des Affaires Etrangères du gouvernement italien mais démissionna dès la nomination par le roi Victor-Emmanuel III de Mussolini à la tête du gouvernement en 1922.

Cet acte de courage politique le contraignit à l’exil. Il partit aux Etats-Unis et revint en 1943.

Après un démêlé sur le maintien des Savoie sur le trône d’Italie, ce à quoi Sforza était fermement opposé, l’opposant à Churchill et au gouvernement britannique, il recouvra sa fonction de Ministre des Affaires étrangères en 1947. 

 

Le physionotrace comme signe distinctif

La collection du Comte Sforza ne comprenait pas exclusivement des physionotraces mais un ensemble cohérent de souvenirs historiques tous significatifs, collectés ou collectionnés au fil de ses missions et charges.

Le physionotrace occupe cependant une place à part dans cette collection.

Pour ceux qui ne sont pas familiers de ces miniatures spécifiques, cette collection soulève d’emblée comme question afférentes : pourquoi collectionner des physionotraces, et avant cela qu’est-ce que le physionotrace, s’agit-il d’une simple gravure de profil ?

Le physionotrace occupe un statut particulier dans l’histoire de l’art imprimé et des multiples.

C’est un objet historique à l’empreinte socio-culturelle forte et rémanente.

Par la précision objective de son tracé (dû à un procédé innovant) et par l’engouement qu’il suscita auprès des contemporains de son inventeur, Gilles-Louis Chrétien (1745 – 1811), aujourd’hui encore le physionotrace fournit une base documentaire et iconographique unique sur les personnalités de la fin du XVIIIe siècle jusqu’au début du XIXe.

Il dresse aussi en filigrane un inventaire des modes sociaux de représentation, et donc de la Mode avec M majuscule (vestimentaire, coiffure, joaillerie), des attitudes.

Inventé vers 1784 par Chrétien (entre 1784 et 1786 suivant les sources), et immédiatement prisé par la haute société de la fin du XVIIIe siècle (élite aristocratique, politique, intellectuelle et scientique) qui se pressait pour se faire tirer le portrait (12 exemplaires et parfois plus), et une fois obtenus, diffusait ces portraits « identitaires » miniatures à des fins politiques, mondaines ou intimes. 

Il faut imaginer la révolution, dans cette période politiquement révolutionnaire, qu’apportait le procédé de Chrétien. Avant cela, les portraits divergeaient du modèle, possédait une ressemblance plus allégorique ou symbolique qu’objectivante.

Car là où l’artiste excellait et où l’art triomphait, la représentation n’était pour autant pas réaliste, au sens de parfaitement ressemblant (et non de mouvement artistique, ce qui serait anachronique). Le propos du portrait historique (pour un roi) ou social (pour la noblesse et la haute bourgeoisie) était ailleurs, il s’agissait de véhiculer une image fastueuse de sa puissance et rayonnement (le roi) ou, pour tous les autres, de sa réussite sociale et conjugale.

Le portrait « incarnait », « sublimait » ou simplement « faisait montre » mais il « n’était pas » celui qu’il représentait.

Avant l’image strictement ressemblante, avant le portrait photographique, préexista donc le physionotrace.

Par la simplicité de son procédé : le sujet était mis de profil devant un papier transparent. Un éclairage permettait de projeter une ombre sur ce papier transparent.



Commencer alors le dessin grandeur nature du de la physionomie fidèlement décalquée.

Intervenait après une phase de réduction du dessin gravé à l’eau-forte sur une plaque de cuivre.

A l’issue le personnage portraituré disposait d’un portrait particulièrement réaliste et caractéristique, de sorte que l’on peut rapprocher le physionotrace de la photo d’identité de l’époque.

Et si l’on pousse l’analogie jusqu’à l’extrêmité de son actualisation sociétale, le physionotrace, à son invention, possédait alors l’attrait, du selfie aujourd’hui. 

Il avait donc fallu passer implicitement du moi collectif au « moi je », d’un modèle collectiviste où la fonction de chacun l’emportait sur l’expression des singularités aux premiers germes de l’Individualisme.
Conscientisation de l’avènement du Moi à travers une représentation dans un format aisé à diffuser ou échanger, le physionotrace explicite ce changement de modèle sociétal qu’exprime parfaitement  Jean-Jacques Rousseau.

 

Aperçu diachronique de la production de Chrétien, inventeur du procédé

Chrétien reçut successivement le concours de trois dessinateurs : Quenedey (dont la production personnelle fut importante et qui eut pour particularité, principalement au début du XIXes, de se démarquer par la réalisation de physionotraces en couleurs), Fournier et Fouquet, avant de choisir Bouchardy pour successeur. 

Cette collection exceptionnelle rend compte du travail de Chrétien dans toute la diversité de ses collaborations jusqu’à inclure quelques essais de colorisation.

L’essor du physionotrace est datable de 1787-88 au Ier Empire. Il continuera mais déclinera sous la Restauration.

Cette collection rend compte de la première période, la plus intéressante, la période XVIIIe qui va de la Convention au Directoire, avec quelques occurences Consulat et Ier Empire.

 

Du député Brissot à Louis XVII, des personnages éminents

A côté des anonymes saisis dans toute leur singularité, servi en cela par la maîtrise du procédé que possédait son inventeur, la précision du dessin, la finesse de la gravure , la qualité de l’encrage, tous issus de la haute societé au XVIIIe siècle, et donc majoritairement de la noblesse, figurent quelques personnalités dûment identifiées telles que le député, chef de file des girondins Brissot de Warville – et sa brillante épouse,  Félicité Dupont ;
le jeune
Commissaire des guerres Bazin de la Bintinays et son épouse ;
l’astronome Jean-Baptiste Delambre qui bénéficia d’un tirage rehaussé.


Et enfin, le portrait le plus saillant de cette collection, d’une insigne rareté, dans un parfait état de conservation, le physionotrace de Louis XVII (1785 – 1795) qui connut un nombre limité de représentations de son vivant ; ce portrait réalisé vers 1791, alors que l’enfant-roi au destin tragique était seulement Prince royal, avant son emprisonnement à la prison du Temple avec ses parents, Louis XVI et Marie-Antoinette et leur exécution programmée.

L’enfant n’est pas encore marqué par les contingences cruelles de la Révolution. Son emprisonnement à 7 ans, l’exécution de ses parents à 8 ans - il ignorera la décapitation de sa mère- et les sévices qui lui seront infligés.

C’est le portrait personnel d’un enfant condamné par sa naissance.

Un instantané précieux avant que l’Histoire ne bascule.

Et au fond, ce sont cela les physionotraces, une suite d’instants hautement signifiants arrachés à l’Histoire.

 

© Photos WE ART TOGETHER
Avec le concours du Musée du Cinéma, Turin